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Témoignage de l’Adssuk

En Guyane, un déconfinement qui s’éternise 

Laura Boussié est responsable de l’Adssuk*, qui gère une pension de famille de 20 logements à Kourou en Guyane. Elle revient sur les multiples restrictions imposées sur le territoire depuis le mois de mars et sur l’impact qu’a au quotidien la progression très différente de l’épidémie par rapport à la Métropole.

* Association de Développement Social et de Solidarité Urbaine de Kourou

Comment le confinement s’est passé en Guyane ? 

Nous avons été confinés en même temps que la Métropole, et déconfinés aussi le 11 mai. Sauf qu’à cette date, le virus ne se propageait pas encore ici, et les gens ne prenaient pas forcément la situation très au sérieux. C’est en juin que l’épidémie est montée en puissance et qu’a été renforcé le couvre-feu déjà mis en place depuis le 25 mars, de 17h à 5h du matin en semaine (et de 13h le samedi jusqu’au lundi 5h du matin). Il y a eu plusieurs évolutions des horaires, en fonction des communes les plus touchées, certains quartiers ont été confinés en plus du couvre-feu, dont 3 rues très proches de notre résidence.

Comment les résidants de votre pension de famille ont-ils traversé cette période ?

Les gens ont très mal vécu le confinement. On a été très présents sur le terrain, ce qui a permis d’éviter les décompensations, mais on a senti énormément de fragilité. C’était d’autant plus frustrant pour eux qu’entre mars et mai, il y a eu très peu de cas en Guyane. Les gens nous disaient « il ne se passe rien », la situation n’était pas prise au sérieux. Et en même temps, nombreux étaient les services publics fermés, les magasins et les commerces soumis à des horaires restreints. Du coup, leur degré d’attente montait crescendo, il fallait tout résoudre tout de suite, le moindre problème. Ils avaient le sentiment d’être abandonnés et leur énervement se retournait contre l’équipe.

Dans ce contexte, comment avez-vous réussi à leur faire intégrer les gestes barrière, le masque… ?

Nous avons commencé très tôt à faire de la prévention, dès le début du mois de mars, avec le soutien de personnel médical bénévole. On a fait des réunions, de l’affichage, on a répété et répété les choses de manière quotidienne. Mais comme il y avait très peu de cas, on passait pour des rabat-joie. Sauf qu’à un moment, nous avons eu un cas, une maman que nous avons dû faire évacuer par le SAMU et qui a été hospitalisée. Nous nous sommes alors rapprochés de l’ARS pour organiser, dans les 5 jours, un dépistage de l’ensemble des résidants.

Comment les gens ont-ils réagi ?

Depuis le dépistage, ce n’est plus du tout pareil, il y a eu un vrai déclic, même chez les résidants les plus récalcitrants. Tout le monde respecte les gestes barrière, met son masque, se lave régulièrement les mains… Plusieurs sont venus me voir pour me dire « vous aviez raison Madame ». Il faut dire qu’en même temps, le couvre-feu a été durci et la situation s’est dégradée en Guyane. Mais nous étions prêts, le site avait été adapté avec des portiques fabriqués avec les moyens du bord, nous avons réussi à avoir des masques…

Qu’est-ce qui est le plus difficile à vivre pour eux au quotidien ?

Culturellement déjà, c’est très difficile. En Guyane, on a l’habitude de vivre collés-serrés, de se voir, de se toucher, la distanciation sociale est tout sauf intuitive ici. Et puis surtout, la situation s’éternise, les couvre-feux se succèdent, même s’il est désormais réduit de 23h à 5h du matin. La fermeture des services publics a également été compliquée à gérer car nous avons beaucoup de personnes illettrées ou déconnectées du numérique, pour qui il est impensable de déclarer leur situation par Internet. La dématérialisation pose d’énormes problèmes à ces publics.

Comment vos équipes ont vécu cette période ?

On a toujours été là, pendant toute la durée du confinement et après, soit physiquement soit par téléphone. On a suivi tout le monde, maintenu le lien avec les administrations pour éviter les ruptures de droit…  L’été a été compliqué mais nous sommes une petite équipe soudée et pleine de bonne volonté. Nous avons aussi beaucoup travaillé en partenariat avec la réserve civique ainsi que les équipes des autres associations de terrain, elles aussi très actives, pendant ces temps de crise. On est très fatigués, mais on se soutient, ce qui nous permet de tenir le coup.

Craignez-vous les prochains mois ?

C’est difficile à dire. D’un côté, les gens commencent à se détendre un peu et reprennent une vie presque normale, ce qui est essentiel. De l’autre, on craint forcément un rebond. Même si le virus semble être moins mortel en Guyane, on a beaucoup de pathologies ici, et je suis inquiète car on a laissé de côté certains patients pour se concentrer sur la Covid, en mettant le reste au second plan. Certaines personnes n’ont pas vu leur psychiatre depuis des mois même s’ils continuent de prendre leur traitement, d’autres sont retombés dans l’alcool. Il va falloir suivre tout ça de très près. Heureusement, au moment du pic de l’épidémie, l’État et les collectivités ont rempli leur rôle, notamment par la mise à disposition de masques et de colis alimentaires. Cependant, il faut bien admettre qu’on a eu de la chance de n’être touchés par l’épidémie qu’après la Métropole.